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L'interopérabilité dans tous ses états

30/12/2014 15:05

Dans son excellent post en juin 2013, Julien s'interrogeait sur l'interopérabilité.  A travers un projet réalisé au sein d’ekito, basé sur CMIS (Content Management Interoperability Service),  Julien démontrait le bien fondé de cette approche.

En effet, pour qu'un logiciel puisse exploiter les fichiers produits par un autre logiciel, il doit connaître les spécifications du format des fichiers. Si les spécifications sont publiées par un organisme de normalisation, il s'agit d'une norme ; si elles sont publiées par un autre type d'organisme, il s'agit d'un standard. Un format est dit ouvert si ses spécifications sont publiées et accessibles de tous. Dans le cas contraire, on parle de format fermé ou propriétaire. L'interopérabilité est la possibilité pour différents systèmes de fonctionner ensemble sans dépendre d'un acteur particulier. Elle repose sur la présence d'un standard ouvert.

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L’interopérabilité est la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d'autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce sans restriction d'accès ou de mise en œuvre.

Lorsqu'un acteur devient dominant dans un domaine, les autres acteurs font en sorte d'être compatibles avec lui.
• Avantage : l'ensemble des systèmes peuvent à peu près fonctionner ensemble.
• Inconvénient : l'acteur dominant contrôle d'une certaine manière cette possibilité¹.

1 Explications et définitions adaptées du groupe de travail Interop de l'AFUL.


Poursmartphone-toulouse-metropole-61466420 ne citer qu'un exemple de la nécessaire prédominance des systèmes interopérables, lorsque dès 2011, la collectivité Toulouse métropole commence à travailler sur un projet de services mutualisés autour de la technologie en champ propre NFC (Near Field Communication), l'équipe réunit les différents partenaires possibles pour engendrer un bouquet de services multiples pour les citoyens de la ville de Toulouse et de la métropole. Ainsi en 2013, la carte multiservices "montoulouse" voit-elle le jour, parfaitement interchangeable avec la carte de transport TISSEO, l'opérateur des transports en commun locaux, qui elle, existe depuis de nombreuses années. Ce bouquet de services portés par les différentes cartes réunit donc transports, musées, piscines municipales entre autre et précède une version dématérialisée d'accès aux services. Tout ceci a été rendu possible grâce aux choix effectués depuis de nombreuses années par les différentes DSI qui privilégiaient l'interopérabilité. Problème : le système de gestion des bibliothèques a été refait à neuf peu d'années avant et n'est pas interopérable, lui, avec les autres partenaires. Les citoyens toulousains sont donc pénalisés par des choix techniques restrictifs faits en amont...

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Guide-tome2-a4-20140828.pdfLe terme d’interopérabilité apparaît de manière récurrente dans les débats sur les transformations économiques engendrées par les services et logiciels. Cette notion est souvent présentée comme l’une des conditions au développement et à la viabilité des créateurs de contenus numériques. Cependant, l’interopérabilité renvoie bien souvent à des questions très différentes tant sur un plan économique que d’un point de vue réglementaire. C'est notamment pourquoi, il est souvent difficile pour le législateur de prendre des décisions en phase avec les évolutions actuelles faute d’un cadre précis (par exemple la question d'une clause d'interopérabilité dans les appels d'offre des marchés publics). Du point de vue du chercheur en sciences sociales et à la suite des économistes Fabrice Rochelandet, Michèle Francine Mbo’o Ida (dans la Revue Lamy – Droit de l'Immatériel, 01/2007), il faut s'interroger sur deux questions récurrentes. Premièrement, l’interopérabilité est-elle toujours souhaitable du point de vue du bien-être social ? Deuxièmement, si l’interopérabilité s’avère bénéfique, comment la mettre en œuvre efficacement à la fois en respectant les équilibres économiques et en favorisant la création de services innovants ?

 

Autrement dit, l'expérience terrain montre que, parfois, le choix de l'interopérabilité peut se faire au détriment parfois de la facilité d'usage, parfois même au dépend de la créativité puisqu'elle peut éventuellement être contraignante au niveau technique. L'innovation, lorsqu'elle propose une rupture technologique, présente des problèmes d’interopérabilité avec l'existant. Ceci peut être un enjeu dans l'adoption de la solution. Dans un "monde parfait", où la non-interopérabilité serait l'exception, ces aspects pourraient sans doute être en partie ou totalement gommés. Malheureusement l’interopérabilité des systèmes pose problème dès lors que l’on constate une incompatibilité entre les formats et une impossibilité d’échange d’informations ou de contenus d’une plate-forme à une autre, d’un équipement à un autre, d’une plate-forme à un équipement., etc.

600px-Interopérabilité_@_J&Bisc_familyPour autant, cet état des lieux ne doit pas masquer l'intérêt, y compris au niveau de modèles économiques maintenant éprouvés, de promouvoir les standards ouverts, seuls garants que le client, qu'il soit une entreprise, une administration ou un citoyen, ne dépende pas d'une exclusivité commerciale et marketing ni même d'une domination exagérée.

Sommes-nous tous X, Y, Z ?

15/12/2014 15:01

L'alphabet est à la mode. Etre « Y » encore plus. Faut-il se sentir à l'écart et dépassé lorsqu'on est un pauvre « X » (comme moi) et que les « Z » poussent déjà vers le marché de l'emploi ?

Pourquoi parler de caractéristiques générationnelles alors que le concept même est controversé dans le champ scientifique  [sur ce sujet voir le très bon article de Claudine Athias-Donfus "Rapports de génération et parcours de vie" ?]  En effet, au-delà des indéniables influences causées par la temporalité et les événements collectifs vécus en commun, d'autres facteurs, comme le capital social, économique, le fait religieux ou politique, semblent pour beaucoup de sociologues plus discriminants que des facteurs uniquement dus à l'âge.

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https://elusnumeriques.info/dis-moi-de-quelle-generation-tu-es-je-te-dirais-la-meilleure-facon-de-communiquer-avec-toi/

Pourtant la « Génération Y » apparaît  aujourd’hui,comme un phénomène de société qui a envahi  l’intégralité de l’espace public, en France comme outre-Atlantique. Fortement médiatisée, que ce soit par le biais de la télévision, d’Internet, des réseaux sociaux ou encore de la presse écrite, la Génération « Why ? » – c’est-à-dire les « jeunes » nés entre 1980 et 1994 environ et aujourd'hui en très grand nombre sur le marché du travail – fait "couler beaucoup d'encre". Dans la blogosphère en particulier (lagenerationy.com ; generationy20.com etc), les praticiens semblent passionnés par le sujet qui de surcroît fait recette (Bouchez, 2011).

Cependant, comme le montrait déjà Socrate plus de 400 années avant Jésus-Christ, la jeunesse est «incomprise » depuis la nuit des temps. Cette génération est probablement la plus « fantasmée » du début du XXIème siècle. Les observateurs, journalistes, bloggeurs, DRH, lui attribuent des caractéristiques spécifiques à tous les niveaux de vie, mais particulièrement en ce qui concerne les attentes et les comportements de ses membres face au travail : la volonté d’accéder d’emblée à des postes à responsabilités, un rejet de l’autorité, une vision très court terme, une focalisation sur les loisirs ("L'intégration de la génération Y en entreprise aujourd'hui : Enjeux, opportunités et obstacles pour les entreprises et les institutions de formation"De Bovis, Fatien et Glée, 2009). Certains évoquent aussi leur prétendue « adaptabilité » aux nouvelles technologies (“Are you ready for the next generation of workers ?”, Kimberly, 2009) Les médias évoquent également leur faible loyalisme : un Y serait destiné à changer d’employeur environ 29 fois au cours de sa carrière ( « Talk GenerationY’slanguage », HR Magazine, janvier, 25, Mahoney, 2009). Le monde de la recherche, à l’affût des tendances sociales se penche de plus en plus sur le sujet, un colloque « comportement de la génération Y au sein des organisations » lui sera même consacré au printemps prochain à l'Université de Metz.

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Force est de constater que cette affirmation a du « plomb dans l'aile » au regard des trajectoires individuelles et des pratiques collectives dans nombres d'entreprises liées au secteur de l'innovation. Au sein des startup, par exemple, les modalités de rapport dans le travail bouleversent ces préjugés et l'on observe plutôt des adhésions et des rejets collectifs en fonction des centres d'intérêts et des objectifs fixés plutôt qu'au regard de l'âge des collaborateurs. Combien de « X » répondent en effet à tous les critères supposés caractéristiques des Y ? Combien de « Y » ne sont pas compatibles avec l'esprit de création, de contribution, d'autonomie, mais aussi d'incertitude du modèle startup ?

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Finalement la question à se poser sur les modes de relation dans l'entreprise ne serait-elle pas plutôt la question de "l'entre-soi" que celui de l'âge. Selon la définition du Larousse, l'entre soi est une "situation de personnes qui choisissent de vivre dans leur microcosme (social, politique, etc.) en évitant les contacts avec ceux qui n'en font pas partie". Le monde de l'entreprenariat, en particulier celui des startup ne répond pas réellement, à ce jour, à la nécessité vitale d'intégration pour la société contemporaine. La création d'accélerateurs ouverts sur la diversité des profils et des projets, offrant l'ensemble des accompagnements "sur mesure", avec un volet de mise en pratique, plutôt qu'axant l'ensemble de sa démarche sur des garants économiques et des pré-requis sociaux, est sans doute l'une des réponses positive à cette préoccupation.

Le marketing, entre bad buzz et tentatives de réhabilitation

05/11/2014 15:00

Le designer Victor Papanek ironisait sur le marketing en le définissant comme l’art de « persuader des personnes d’acheter des produits dont ils n’ont pas besoin avec l’argent qu’ils n’ont pas, pour impressionner des voisins qui s’en moquent ». Cette vision est révélatrice de la méfiance autour de cette discipline, néfaste pour certains, inconsistante pour d’autres, mais également indispensable pour beaucoup.

 

L'année dernière la publicité pour le groupe activiste/caritatif "Compassion in world farming" a créé le buzz et dénoncé, à travers les méthodes marketing de l'industrie alimentaire, le sort des animaux de l'élevage industriel.

 

 

Cette vidéo visionnée par des millions d'Internautes à travers le Monde, retraçant des faits exacts mis en scène et joués par une actrice professionnelle, n'a certainement pas favorisé l'image de la pratique auprès des consommateurs, bien qu'utilisant les même techniques de captation de l'adhésion des internautes. Le marketing n’a pas, en effet, toujours bonne presse. Au sens propre du terme, toute exploitation douteuse, c’est-à-dire promotionnelle et lucrative, d’un fait ou d’une situation est qualifié péjorativement de « coup marketing »…

 

Dans le milieu académique également les détracteurs de la discipline sont nombreux, par exemple le philosophe Bernard Stiegler qui évoque une « dépendance accrue »,  mais également « d’infantiliser les adultes » ou encore le « pouvoir destructeur » du marketing, le sociologue Henri Lefebvre, de son côté, qui l'évoque comme une« aliénation » ou le penseur révolutionnaire Guy Debord qui en dénonce le « spectacle ».

 

Définir le terme et la pratique n'est pas si aisé

Étymologiquement lié au marché, aux marchands et aux marchandises, le marketing est en réalité utilisé consciemment ou non par toute entreprise commerciale proposant son offre à une clientèle variée.
Pourtant, les experts s’accordent eux-mêmes difficilement sur une définition consensuelle, car elle renvoie à la façon dont on envisage ce marché : un débouché, un terrain commercial, ou bien également une nécessité d’information et de veille ? un vaste écosystème de consommateurs, concurrents, partenaires et prescripteurs ? Tout en même temps?
Le marketing est-il limité à la communication sur le produit ou inclut-il l'ensemble des processus d'innovation, de création et de médiation ?

 

Au vu de la multiplicité de ces définitions et de ces attributions, finalement, comme le faisait Monsieur Jourdain, bourgeois gentilhomme,  avec la prose, l'entrepreneur de biens industriels, artisanaux, ou de services fait du marketing dès lors qu'il cherche à optimiser la vente et atteindre ses clients, sans même parfois en avoir directement conscience.

 

De leur côté, les défenseurs du marketing reconnaissent eux-même les limites de l'exercice et la nécessaire nature aléatoire de leur métier. L’expression de John Wanamaker, pionnier du marketing et figure emblématique du domaine, nous rappelle que le marketing est nécessairement soumis à l'approximation: « la moitié de mon budget marketing est gaspillée. Le problème est que j’ignore de quelle moitié il s’agit !».

 

Des plaidoyers pour un marketing rénové

Conscients des a priori négatifs et des divers excès et dérives de certains depuis des décennies, les professionnels du marketing cherchent aujourd'hui à réhabiliter leur métier en renouvelant ou réaffirmant une pratique éthique, responsable et innovante de la discipline.

 

Selon le spécialiste marketing Didier Cassaing, il existe un véritable malentendu «qui commence avec la définition et le champ d’intervention du marketing, trop souvent cantonné à une étroite fonction de support opérationnel à la vente, alors qu’il procède d’une véritable culture d’entreprise irriguant tous les métiers, tous les niveaux hiérarchiques et parcourant un cycle complet, de la veille de marché à la fidélisation des clients, en passant par la recherche et le développement produit, la communication et la promotion. »

 

Yves Goblet, professionnel reconnu du marketing, dans son livre « Construire une marque leader. Comment faire s'épanouir la relation entre une marque et le consommateur ? » explique que trop souvent, le marketing s'est emmuré et mécanisé. Il évoque également le risque de « divorce économique » entre le consommateur et les marques, lorsque celles-ci sont le fruit d’un marketing « sédimenté ».

Pour lui, « le consommateur est sujet, et non objet. […] Une approche expérientielle reconnaît une relation riche et complexe avec le consommateur. Une approche mécanique revient à mesurer le taux de réponse à desincentives répétitifs en espérant que le « consommateur objet » ne se lassera pas trop vite. »

 

Une pratique finalement très hétérogène

Finalement, quel que ce soit le nom qu'on lui donne, la relation de l'entreprise à son marché, de la marque à sa clientèle, de l'usager à son produit, est bien entendu une nécessité vitale. Derrière la remise en question de la pratique marketing caricaturée par les excès de certaines industries (comme le démontre la vidéo de « Compassion in world farming »), il s'agit surtout, encore une fois, de la tendance forte en notre époque de publics nombreux pour une meilleure compréhension, de responsabilité et de partage.

 

Le marketing est lui aussi traversé par ses courants, le fondement même de cette discipline étant justement de les absorber pour en faire un usage profitant à l'entreprise ainsi qu'au client. L'une des options pour y parvenir est notamment par l'établissement d'une relation interactive de fidélisation à long terme, si possible à vie. Alors, par nécessité cynique ou adhésion spontanée et « générationnelle » de ses acteurs, les métiers et les méthodes du marketing, eux aussi, se transforment en profondeur aujourd'hui et tentent souvent désormais de valoriser la cocréation et la transparence dans leur discours comme dans leur objectifs.

La notion de don / contre-don à l'épreuve des startups

15/09/2014 14:55

Depuis quelques années, les articles de presse spécialisés, blogs et autres lieux d'expression des acteurs de l'entrepreneuriat et des startup faisant référence à la sociologie maussienne font florès. Outre la tentation de « vernir »  son propos d'un label savant, la pertinence de cette référence semble faire sens pour beaucoup de commentateurs.

 

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En 1923-1924 dans l'Année Sociologique, l'anthropologue Marcel Mauss publie son « Essai sur le don . Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques. » Comment ce texte ancien est-il aujourd'hui considéré comme un cadre théorique pertinent de l'entrepreneuriat et tout particulier de l'écosystème startup ?

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A l'époque et à l'aide d'exemples empruntés à des sociétés diverses et mis en évidence par B. Malinovski dans son ouvrage « Les argonautes du Pacifique occidental » en 1922, l'auteur montre que le don est obligatoirement suivi d'un contre-don selon des codes pré-établis. Dons et contre-dons, articulés autour de la triple obligation de « donner-recevoir-rendre », créent un état de dépendance qui autorise la recréation permanente du lien social.

Les trois actions : donner – recevoir – rendre, qui sont exercées en des lieux, des circonstances et des temps différents constituent au sein du marché, un système, par essence, jamais équilibré. Ce déséquilibre permanent représente le fondement même de l’échange social. Il place les acteurs dans une situation de réciprocité, d’endettement les uns vis-à-vis des autres. C’est le corps social dans son ensemble, par qui transite le don, qui est garant du fonctionnement du mécanisme.

 

 « Dans le don, il ne s'agit pas d'avoir pour avoir mais [...] d'avoir pour être »

Selon Marcel Mauss, le don est un phénomène commun à toutes les sociétés humaines passées et présentes. C'est une morale universelle et « éternelle » associée à notre condition « d’animal politique ». Marcel Mauss fait une critique implicite des analyses classiques de l'économie de marché et prend position pour ce type d'échange naturel vers lequel, selon lui, nos sociétés tendraient à revenir, contrairement aux idées développées par l'économie classique qui voient dans le troc la forme d'échange naturelle, version simplifiée des échanges marchands. « Le système que nous proposons d'appeler le système des prestations totales [...] constitue le plus ancien système d'économie et de droit que nous puissions constater et con­ce­voir. Il forme le fond sur lequel s'est détachée la morale du don-échange. Or, il est exactement, toute proportion gardée, du même type que celui vers lequel nous voudrions voir nos sociétés se diriger ».

Bien que participant du même système de recherche d'intérêt, le système du don/contre-don viserait prioritairement, non pas l'accumulation de richesse, mais prioritairement l'augmentation du prestige et de la renommée. « Dans le don, il ne s'agit pas d'avoir pour avoir mais [...] d'avoir pour être »

A la suite de Mauss de nombreuses études se sont penchées sur ces questions tentant de mettre en évidence que la logique du don se démarquerait radicalement de celle du marché. Parfois contesté, ce "paradigme" fut structurant pour les Sciences Sociales jusqu'à aujourd'hui.

 

Le don au cœur de l'écosystème startup

Quelles apports tirer pour l'entrepreneuriat modèle startup de ces théories venues de l'anthropologie ? Il serait ainsi possible, dans le cadre d'un écosystème startup d'échapper, au moins partiellement, à l'unicité du mode développement entrepreneurial exclusivement financier. Lever des fonds ne serait pas alors suffisant et pourrait même devenir un atout marginal, à condition d'accumuler les échanges et la réciprocité  :

  1. La start-up vit dans un environnement social à l’intérieur duquel elle doit, pour se développer, rechercher des synergies avec l’ensemble de ses partenaires. Or l'aide et l'entraide permettent une valorisation collective et personnelle, grâce à l'image sociale très positive du "modèle" startup. Entreprendre dans cet écosystème serait pour les porteurs et ceux qui les aident (individus ou organisations), participer au « bien commun » de la création d'innovation, de valeurs et d'emploi et d'imagination du futur. En d'autres termes, la valorisation de entrepreneuriat innovant est en soi une récompense symbolique, non seulement pour les porteurs de projets, mais également pour tout le système d'accompagnement qui en découle.
  2. La démarche du partage désintéressé basé sur la confiance est l’une de clés pour garantir sa survie et sa croissance ainsi qu'un système d’échange avec d’autres acteurs : programmes de coaching, partenariat actifs, participation des dirigeants à des réseaux, accélérateurs, pépinières, associations de soutien, etc. La vox populi constate que les startup s’ouvrant à leur environnement, pratiquant l’association désintéressée et basant leurs relations sur la confiance, se développent plus vite et deviennent naturellement plus résistantes.

Entreprendre dans l'écosystème startup, finalement, pourrait ne pas être principalement et uniquement un projet à vocation économique mais l'accomplissement personnel et social des acteurs du système...

Voyage en pays « hostile » : une immersion dans le « jargon eurocrate »

01/09/2014 14:49

Au sein d'ekito, l'une de mes mission est d'effectuer une veille sur les appels d'offre publics en terme d'innovation et de création d'entreprise. Ainsi mon vocabulaire et mon discours, influencé par mes lectures, semblent-ils bien souvent, sur ce sujet, obscurs au reste de l'équipe que leur terminologie technique peut souvent l'être pour moi. H2020, SMS Instrument, ANR, et j'en passe, font partie de mon quotidien, mais nécessitent pour cela une plongée régulière dans un univers particulièrement ardu, à la limite, parfois, du surréalisme : les milliers de documents et portails produits par l'Union Européenne dans un jargon "européano bruxellois" spécifique à la Commission.

 

Une situation reconnue par la commission européenne

Dans les instances de l’Union Européenne, on emploie couramment des termes tels que “modalités”, “mise en œuvre” ou encore “trilogue”. Faisant face aux polémiques suscitées par ce type de terminologie relayés par les médias ( "L'Union européenne est-elle victime de son jargon ?" s'interrogeait  en effet la presse en janvier 2014 (Euronews), la Commission Européenne publie régulièrement un  manuel sur le jargon et suggère des expressions plus directes. Mais force est de constater que la pratique persiste !

"Dans le monde de plus en plus interdépendant qui sera celui du XXIe siècle, le citoyen européen devra plus que jamais coopérer avec des peuples d’autres pays, dans un esprit de curiosité, de tolérance et de solidarité”, dixit la Commission européenne, en allemand, dans l'une des dizaine de milliers de pages de son portail. A contrario de ce discours pro-actif, les institutions européennes utilisent pourtant de plus en plus exclusivement l'anglais comme langue de travail.

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Mais quel anglais parle-t-on dans les institutions européennes ? Pas vraiment celui de Shakespeare, comme je le constate bien souvent et si l'on en croit également un rapport datée de mai 2013 par la cour européenne des comptes et intitulé « brève liste des termes anglais mal usités dans les publications de l'Union européenne. » « Au fil des ans, les institutions européennes ont développé un vocabulaire qui diffère de toutes les formes reconnues d'anglais », annonce le rapport dans son introduction.

https://ec.europa.eu/translation/english/guidelines/documents/misused_english_terminology_eu_publications_en.pdf

Selon l'auteur de ce rapport, les collaborateurs des institutions européennes se soucient assez peu de la justesse lexicale de leur anglais à partir du moment où ils sont compris en interne. Mais, comme le rappelle le rapport « il se peut qu'il soit plus aisé de communiquer avec ces termes en interne qu'avec les termes corrects, mais les institutions européennes doivent aussi communiquer avec le monde extérieur. » En d'autres termes, le rapporteur s'inquiète du développement d'un « jargon eurocrate » issu de l'anglais au sein de l'Union Européenne qui, non content de n'être pas compris par une grande partie de la population de l'Union européenne, ne le serait pas davantage par les anglophones européens. Comme pouvait l'être jadis la katharévoussa, la langue officielle de la Grèce jusqu'en 1974 qui n'était comprise que des classes dirigeantes, il existe une langue vivante uniquement dans l'administration européenne et que ses usagers doivent, vaille que vaille, s'approprier.

La preuve par l'exemple

Le rapport fait ensuite une liste non exhaustive de ces mauvais usages.

  • On peut ainsi relever, parmi les 58 pages du rapport, l'usage intensif du verbe « to assist at » pour « assister à », terme qui, sans être faux, est extrêmement archaïque en anglais courant qui préfère « to attend. »
  • De son côté, « to precise » n'existe pas en anglais, malgré son large emploi dans l'anglais de l'Union Européenne.
  • De même, les fonctionnaires européens ne lésinent pas sur l'usage du terme « axis » au sens français « d'axe stratégique. » Pourtant cet usage n'existe pas en anglais: « axis » est un axe physique ou encore, historiquement, l'alliance entre Hitler et Mussolini ! « Ce terme est particulièrement malheureux au pluriel, souligne le rapport, parce qu'il peut être confondu avec le pluriel de « axe » (hache). »
  • Le rapport cite un autre exemple frappant et complexe : celui de « to foreseen » largement utilisé au sens de ses calques allemands (vorsehen) ou français (prévoir) alors qu'en anglais courant, il est couramment utilisé pour évoquer des prédictions de voyants ou de devins. Ce verbe n'est, en tout cas, jamais, utilisé comme en français au sens de « fourni » (dans « le matériel est prévu », par exemple). « La politique la plus sûre concernant ce terme est de l'éviter », résume le rapport.

 

  • Parfois, ces « faux amis » peuvent conduire à de vrais contresens. Ainsi, la législation européenne utilise beaucoup « to dispose of » pour « disposer de » au sens français « d'avoir », sens qui n'existe pas en anglais où ce verbe veut dire « se débarrasser de. » La phrase : « the managing authority disposes of the data regarding participants » ne signifie donc pas que l'autorité compétente a les données concernant les participants , mais au contraire qu'elle les a supprimées !
  • De même la terminologie « third country », omniprésente dans les appel d'offre de l'Union européenne, ne signifie pas, comme le voudrait le sens commun et explicite « troisième pays » mais « pays tiers » dans le sens de Bruxelles (c'est à dire en gros pays partenaires mais non membres).
  • Enfin, le terme « d'anglo-saxon » pour désigner les pays anglophones est souvent utilisé dans la législation européenne. En anglais classique, ce terme désigne au mieux les peuples qui, au Ve siècle, ont envahi les îles britanniques et, au pire, dans son usage américain, les Blancs, les fameux « Wasps » (White Anglo-Saxon Protestants). En dehors de son usage historique, ce terme a, précise le rapport, « une connotation négative et doit être évité. »
  • Le rapport relève aussi quelques usages grammaticaux propres à l'Union Européenne comme l'usage intensif de la préposition « of » pour à peu près toutes les autres prépositions possibles et qui peut prêter donc à confusion.

  

Prêts pour l'aventure ?

Vous me direz que, comme toutes les autres langues, le « jargon eurocrate » s'apprend. Et bien oui, après le fameux « Globish » (de global & english, langue d'usage courant d'un anglais relâché) dans les échanges internationaux, il existe un savoir-faire linguistique précieux pour se repérer dans la jungle des portails de l'Union Européenne. Si vous ajoutez à cela un sens de l'orientation particulièrement aïgu au sein des portails anti-ergonomiques et particulièrement touffus de l'Union Européenne, vous serez prêts pour la grande aventure des fonds européens !

Le sociologue : un acteur de médiation entre environnement social et projets entrepreneuriaux

23/06/2014 14:44

« Il n’y a rien que je sache qu’au moins un des membres de ce groupe ne sache également, mais, comme je sais ce qu’ils savent tous, j’en sais plus que n’importe lequel d’entre eux. » E. C. Hughes, Le regard sociologique, Paris, ehess, 1996.

 

Arrivée chez ekito depuis quelques semaines pour y remplir un rôle de « sociologue », j'ai tout de suite été questionnée sur l'originalité de ma fonction et les apports de la sociologie au sein des compétences de l'équipe. Titulaire d'un doctorat en Sciences de l'information et de la communication et après plusieurs années au sein du Laboratoire de Sciences Sociales du Politique de Sciences Po Toulouse, je me suis spécialisée dans l'analyse de la réception et de l'acceptabilité des innovations disruptives. Le thème de mes recherches est relativement parlant pour les promoteurs d'innovation, même si le sens de mes pratiques posent questions sur leur pertinence au sein même d'un processus entrepreneurial.

 

Pour les entreprises, l'un des enjeux fondamental est de comprendre l’adéquation de son projet avec les attentes de ses clients, potentiels ou déjà existants, dans le but d’y répondre de façon optimale. Pour cela, elles mobilisent souvent les études marketing en vue de mieux saisir les comportements et opinions. Même si ces études donnent à voir une « réalité sociale » plutôt simplifiée, dans quelle mesure la sociologie pourrait-elle répondre aux interrogations opérationnelles du créateur d'innovation ? Le regard du sociologue est-il pertinent pour analyser les « réactions » du « marché » ?

 

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En effet, quand une entreprise, qu'elle soit en création ou non, envisage le plus souvent de mobiliser le marketing pour améliorer la performance de son objet ou la satisfaction de ses clients, quelles peuvent être les contributions d’un sociologue ? Face à la réactivité mise en avant par les premiers, l'utilité sur un temps long des « résultats » produits par l'étude que privilégie le sociologue peut constituer une valeur ajoutée. S’il sait faire valoir le caractère multidimensionnel de ses analyses, le sociologue peut en outre apporter un regard renouvelé sur les dispositifs à évaluer. Cependant, un tel projet exige qu’il sache nouer, avec ses différents interlocuteurs et en amont de ses travaux, des relations propres à rapprocher les logiques de la recherche et celles du terrain. Ma première obligation consiste finalement à montrer l’intérêt et la pertinence du « regard sociologique » en adaptant un langage qui convainc les interlocuteurs. Face à une demande d’intervention très opérationnelle et quantitative, qui s’inscrit dans une logique de simplification et de court terme, il s'agit de faire valoir la contribution de chercheur qui s'inscrit dans un cadre de réflexion plurielle et stimulant, dans le but d'accompagner durablement le lancement, mais aussi les mutations futures du projet.

 

Selon la définition produite par l'Onisep, le sociologue est un scientifique qui observe et analyse les modes de vie des familles ou de groupes de personnes, ainsi que les comportements humains individuels et les mouvements de pensées. Il essaye d'apporter des explications aux attitudes des êtres humains. Le sociologue doit savoir reconnaître les informations importantes dans la masse d'éléments qu'il recueille lors de ses recherches.

Son métier consiste notamment à recueillir des informations sur les habitudes des gens, sur leur façon de voir les choses et de vivre au quotidien. Il enquête sur le terrain en organisant des entretiens ou des interviews. Il analyse les informations recueillies, puis rédige un document qui rend compte des résultats de ses recherches. Il lui arrive aussi de conseiller les entreprises pour la gestion de leurs effectifs ou la mise en place de programmes de formation. Ses recherches sont aussi utilisées dans les secteurs du marketing et de la publicité pour mieux identifier les consommateurs d'un produit ou d'un service. Lorsqu'il mène ses enquêtes, le sociologue se déplace chez les gens, dans la rue ou dans un quartier précis. Les sociologues ont donc pour mission un rôle de médiateur entre le monde de la recherche et le monde de l'entreprise, en s'appuyant sur la parole des individus et en la restituant après avoir appréhendé la subjectivité de chacun.

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Loin de simplifier la réalité sociale, l’intention est de faire ressortir la complexité d’une situation qui se situe au carrefour de multiples enjeux. Il s'agit le plus souvent de donner la parole aux différentes « réalités vécues ».

Les auteurs de « L’intervention sociologique en entreprise » soulignent que les décideurs cherchent à prendre des « décisions éclairées » [Uhalde M. (dir.), L’intervention sociologique en entreprise – de la crise à la régulation sociale, Paris, Desclée de Brouwer, 2001] en intégrant les différentes composantes de la réalité sociale. Mais, comme le précisent aussi les auteurs de l’ouvrage, « les acteurs mobilisent des registres de rationalité divers ».

 

Au-delà de la position de chercheur, qui impose une exigence de distanciation et d'objectivation des rapports sociaux , la pratique d'intervention suppose une clarification des repères et valeurs qui guident le sociologue, car celui-ci ne saurait se réfugier dans une « extériorité », rassurante mais factice, ou dans l'illusion de la neutralité.

 

Selon Gérald Gaglio, auteur de l'article « En quoi une thèse CIFRE en sociologie forme au métier de sociologue ? Une hypothèse pour ouvrir le débat », Socio-logos. Revue de l'association française de sociologie | 2008, il existe plusieurs malentendus autour de l’apport possible de notre travail. Trois d’entre eux méritent d’être mentionnés :

  • La sociologie intrusive : elle consiste en un espoir d’une intrusion « dans la tête du client » par le sociologue, comme y incite le spécialiste du marketing G. Zaltman (2003), pour connaître leurs désirs cachés, non déclarés dans les enquêtes quantitatives. Ce malentendu provient d’une méconnaissance des méthodes de la sociologie qualitative.

  • La sociologie « deus ex machina » : corollairement, la sociologie est parfois envisagée comme un mode de persuasion et un gisement de solutions pour arriver à convaincre des bien-fondés d’offres ne trouvant pas encore leur public, malgré la mobilisation de moyens colossaux, préalablement (communication publicitaire, études de marché…), pour y parvenir.

  • La socio-astrologie : l’attente d’une préparation à l’avenir via l’examen des usages actuels peut incidemment dériver en une quête angoissée de prédictions favorables, sur un marché incertain tardant à décoller, contrairement aux potentielles anticipations optimistes.

 

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En forme de clin d’œil, je me permettrais également une analogie entre le métier de sociologue d’entreprise, sur ce qu'il est censé apporter en terme de recherche et d’expertise, au mythe de Sisyphe parce que sa présence, son travail et la diffusion de ses résultats ne sont jamais stabilisés. Comme le décrivent A. Fossier et E.Gardella, dans leur article « L'esprit d'enquête », Revue Tracés, 2012/3 (n° HS-12), les nouveaux interlocuteurs devront pour beaucoup être convaincus de l’intérêt de la démarche, de la nécessité du recours à l’artisanat dans un univers hautement technicisé. Parler d’«artisanat» se justifie parce que les entretiens qualitatifs sont réalisés par des personnes et ne peuvent être remplacés par des dispositifs techniques, et parce que la méthodologie doit être sans cesse repensée à chaque entrée sur un nouveau terrain. Avec chaque nouveau porteur de projet, le travail d’explication est à faire : pourquoi ces méthodes ? Combien de temps la recherche nécessite-t-elle ? Quelle déontologie mettre en place pour préserver la confidentialité du projet et l'anonymat des sources ? La sociologie en entreprise doit être perçue comme une « industrie de main-d’œuvre», fondée sur la nécessaire présentation des résultats et non sur la démonstration d’une vérité a priori.

 

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Mais je conclurais avec la version positive d 'Albert Camus de ce mythe de Sisyphe que j'évoquais plus haut : « Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile, ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »