La notion de don / contre-don à l'épreuve des startups

15/09/2014 14:55

Depuis quelques années, les articles de presse spécialisés, blogs et autres lieux d'expression des acteurs de l'entrepreneuriat et des startup faisant référence à la sociologie maussienne font florès. Outre la tentation de « vernir »  son propos d'un label savant, la pertinence de cette référence semble faire sens pour beaucoup de commentateurs.

 

Donner-recevoir-rendre

En 1923-1924 dans l'Année Sociologique, l'anthropologue Marcel Mauss publie son « Essai sur le don . Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques. » Comment ce texte ancien est-il aujourd'hui considéré comme un cadre théorique pertinent de l'entrepreneuriat et tout particulier de l'écosystème startup ?

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A l'époque et à l'aide d'exemples empruntés à des sociétés diverses et mis en évidence par B. Malinovski dans son ouvrage « Les argonautes du Pacifique occidental » en 1922, l'auteur montre que le don est obligatoirement suivi d'un contre-don selon des codes pré-établis. Dons et contre-dons, articulés autour de la triple obligation de « donner-recevoir-rendre », créent un état de dépendance qui autorise la recréation permanente du lien social.

Les trois actions : donner – recevoir – rendre, qui sont exercées en des lieux, des circonstances et des temps différents constituent au sein du marché, un système, par essence, jamais équilibré. Ce déséquilibre permanent représente le fondement même de l’échange social. Il place les acteurs dans une situation de réciprocité, d’endettement les uns vis-à-vis des autres. C’est le corps social dans son ensemble, par qui transite le don, qui est garant du fonctionnement du mécanisme.

 

 « Dans le don, il ne s'agit pas d'avoir pour avoir mais [...] d'avoir pour être »

Selon Marcel Mauss, le don est un phénomène commun à toutes les sociétés humaines passées et présentes. C'est une morale universelle et « éternelle » associée à notre condition « d’animal politique ». Marcel Mauss fait une critique implicite des analyses classiques de l'économie de marché et prend position pour ce type d'échange naturel vers lequel, selon lui, nos sociétés tendraient à revenir, contrairement aux idées développées par l'économie classique qui voient dans le troc la forme d'échange naturelle, version simplifiée des échanges marchands. « Le système que nous proposons d'appeler le système des prestations totales [...] constitue le plus ancien système d'économie et de droit que nous puissions constater et con­ce­voir. Il forme le fond sur lequel s'est détachée la morale du don-échange. Or, il est exactement, toute proportion gardée, du même type que celui vers lequel nous voudrions voir nos sociétés se diriger ».

Bien que participant du même système de recherche d'intérêt, le système du don/contre-don viserait prioritairement, non pas l'accumulation de richesse, mais prioritairement l'augmentation du prestige et de la renommée. « Dans le don, il ne s'agit pas d'avoir pour avoir mais [...] d'avoir pour être »

A la suite de Mauss de nombreuses études se sont penchées sur ces questions tentant de mettre en évidence que la logique du don se démarquerait radicalement de celle du marché. Parfois contesté, ce "paradigme" fut structurant pour les Sciences Sociales jusqu'à aujourd'hui.

 

Le don au cœur de l'écosystème startup

Quelles apports tirer pour l'entrepreneuriat modèle startup de ces théories venues de l'anthropologie ? Il serait ainsi possible, dans le cadre d'un écosystème startup d'échapper, au moins partiellement, à l'unicité du mode développement entrepreneurial exclusivement financier. Lever des fonds ne serait pas alors suffisant et pourrait même devenir un atout marginal, à condition d'accumuler les échanges et la réciprocité  :

  1. La start-up vit dans un environnement social à l’intérieur duquel elle doit, pour se développer, rechercher des synergies avec l’ensemble de ses partenaires. Or l'aide et l'entraide permettent une valorisation collective et personnelle, grâce à l'image sociale très positive du "modèle" startup. Entreprendre dans cet écosystème serait pour les porteurs et ceux qui les aident (individus ou organisations), participer au « bien commun » de la création d'innovation, de valeurs et d'emploi et d'imagination du futur. En d'autres termes, la valorisation de entrepreneuriat innovant est en soi une récompense symbolique, non seulement pour les porteurs de projets, mais également pour tout le système d'accompagnement qui en découle.
  2. La démarche du partage désintéressé basé sur la confiance est l’une de clés pour garantir sa survie et sa croissance ainsi qu'un système d’échange avec d’autres acteurs : programmes de coaching, partenariat actifs, participation des dirigeants à des réseaux, accélérateurs, pépinières, associations de soutien, etc. La vox populi constate que les startup s’ouvrant à leur environnement, pratiquant l’association désintéressée et basant leurs relations sur la confiance, se développent plus vite et deviennent naturellement plus résistantes.

Entreprendre dans l'écosystème startup, finalement, pourrait ne pas être principalement et uniquement un projet à vocation économique mais l'accomplissement personnel et social des acteurs du système...